Le danger Turc

Après quelques heures dans un bus rudimentaire mais confortable, nous atteignons la frontière, les formalités d’usages effectuées, nous nous retrouvons en terre Turque, prêt à entamer les 300 derniers kilomètres nous séparant de la “porte sublime”, surnom donné à l’ancienne capitale Byzantine et Ottomane.


Ce passage de frontière n’a pas été de tout repos pour moi, puisque j’ai été sollicité à plusieurs reprises par une employé de la compagnie pour passer la douane avec des bouteilles d’alcool, chose que j’ai refusé de manière ferme et catégorique. Comportement qui a engendré des tensions entre cette jeune contrebandière et moi même.
Un épisode vite effacé par l’excitation de découvrir ce pays que je ne connais pas. Les premières images que j’en aurai seront celles d’une route parfaitement entretenue et de voitures flambants neuves … Ce qui s’oppose aux infrastructures surannées que je pensais découvrir.

La deuxième image sera celle d’une ville démesurée, en expansion perpétuelle … La succession des chantiers défile au rythme de l’autocar et d’un trafic parfois capricieux. Nous sommes déjà en pleine ville alors que nous arriverons à destination dans une vingtaine de kilomètres, destination elle même située dans la banlieue de Istanbul.

Le bus s’arrête enfin à la principale gare routière de la ville, celle de Bayrampasa. Les rares touristes qui ont fait le voyage sautent dans des taxis et s’empressent de quitter la cohue d’un tel endroit où les bus, les minibus, les trains, les métros, les taxis et les voitures s’entremêlent dans une cacophonie sans nom.

De mon côté et comme à mon habitude, je prend quelques minutes pour observer la foule et les lieux. N’ayant aucune livre turque sur moi, je me met en quête d’un distributeur automatique et je me rend compte que les rapports vont être compliqués, au vu du peu d’intérêt que portent les locaux à la langue de Shakespeare.

Après quelques interactions, je trouve quand même mon bonheur et j’utilise mes premiers billets pour acheter une carte sim. Cela étant fait, je décide de rejoindre l’appartement de mon hôte, Siham, à l’aide des transports en commun. Une entreprise rendue difficile par le nombre incalculable de destinations possibles et ma méconnaissance totale des lieux. Après quelques heures je me retrouve dans un premier minibus qui s’arrête dans une autre gare routière, la course au trésor reprend et je trouve enfin le graal, négligemment posé sur le pare brise d’un autre minibus, j’aperçois le nom du quartier dans lequel je dois me rendre … Houra, je suis sauvé :-).

Alors que je marche dans la rue de Siham, cette dernière m’interpelle du haut de son balcon, et m’invite à monter au 3eme étage. J’arrive alors dans un appartement magnifique … Elle s’empresse de me faire visiter et me montre ma chambre. Une chambre privée, je ne pouvais pas rêver mieux. Disons le clairement, en étant hébergé par une fille, je savais que j’allais rencontrer une personne militante. Plus que ailleurs, héberger gratuitement un voyageur, qui plus est un homme, est ici un geste fort qui démontre son ouverture d’esprit et son opposition au régime d’Erdogan.

Pour moi, il s’agit bien plus qu’une énième destination à cocher sur ma grande carte du monde. C’est la première fois que je vais évoluer dans un pays aux mains d’un dictateur aussi extrème que Recep Tayyip Erdogan. Censure, mégalomanie, répréssion des opposants, propagande, extrémisme religieux … Tout y est ! Un cocktail explosif sur lequel j’ai hâte d’en savoir plus. Comment ont ils vécues l’évolution de leur pays depuis son accession au pouvoir ? Comment vit-on au sein d’un tel régime ? Ont ils peur pour l’avenir ? Le sujet est sensible et j’attendrai le moment opportun pour l’aborder.
Pour l’instant nous faisons connaissance autour d’un délicieux plat de pâtes préparé avec soin. Je rencontre Siham, Ugur dit “Memo”, Ilkay, ainsi que plusieurs amis à eux.

Très vite les discussions s’orientent naturellement vers la situation économique préoccupante du pays (la livre turque étant en chute libre, le pouvoir d’achat du peuple s’en voit largement impacté) … J’apprend notamment que en 1 mois la bouteille de lait standard à augmenter d’environ 25% et que le cours de la monnaie nationale est extrêmement fluctuant. Je tiens à dire que j’écris cet article d’une traite pour raconter l’expérience que j’ai eu avec ces jeunes Stambouliotes, ce sont leurs histoires de vie que je me contente de rapporter. Je garderai une phrase en tête, celle qui à réorienter le débat sur Erdogan, “On a l’impression que tout le monde va vers la modernité et un accroissement des libertés, alors que dans le même temps, nous faisons le chemin inverse”.

Ce qui les préoccupe le plus, c’est la place grandissante de l’extrémisme religieux, combinée à la situation économique de plus en plus mauvaise du pays. Ils me rapportent notamment que 10 ans en arrière très peu de femmes portaient le voile. C’est désormais monnaie courante. Même si le port n’est pas obligatoire, il est fortement conseillé et Siham me relate des pressions de la part du gouvernement et des autorités. Elle me confit notamment qu’il est relativement difficile de trouver un travail si on a fait le choix de ne pas le porter. Tous s’accordent à dire que dans la plupart des cas, ce n’est pas une décision personnelle, mais bel et bien un choix dicté par l’entourage familiale, amicale, amoureux et/ou professionnel. Je vois déjà venir le débat sur le voile, dans lequel je n’ai absolument pas envie de rentrer, la démagogie et la bien-pensance entourant ce sujet me rendent fou. Ils me parlent librement et sans tabous, et cela suffit à mon bonheur.

Devenu président en 2014 après une longue période en tant que premier ministre, Erdogan a précipité la Turquie dans une longue descente aux enfers qui n’est pas prête de s’arrêter. Les nombreuses choses illégales effectuées pour rester au pouvoir, sa mégalomanie, son emprise sur les médias, sa répression de toutes personnes et/ou organisation s’opposant à son egemonie n’augurent rien de bon …Par exemple, le très célèbre site d’information “wikipedia” y est censuré (comme beaucoup d’autres sites). Bloquer l’accès à l’information, en plus de bafoué un droit fondamentale, est une manière de maintenir le peuple dans l’ignorance, afin de pouvoir faire avaler des couleuvres au calme. Les libertés se réduisent de plus en plus depuis son accession au pouvoir … les hôtels et auberges de jeunesse sont interdits aux citoyens Turcs, comme une manière d’empêcher la mixité avec les mécréants. Est ce une manière de préparer le pays à la charia ?

Ce constat me rend triste pour les gens que je vais laisser derrière moi ! Des étudiants et des jeunes actifs plein de vie et de rêves, sacrifiés sur l’autel de la dictature d’un seul homme. Les divisions au sein du peuple se font de plus en plus ressentir … On y arrive, diviser pour mieux régner !

Je suis définitivement très chanceux d’avoir été accueilli par Siham et ses amis, puisque en plus d’être très ouvert à la discussion, ce sont des guides de Istanbul incollable sur leur ville et son patrimoine culturel. Le lendemain, ils m’ont emmené sur la rive Asiatique, à Kadikoy. Un quartier pittoresque, fief du club de Fenerbahce (malheureusement je n’ai pas croisé Mathieu Valbuena, un des meilleurs joueurs Français de ses 10 dernières années qui joue désormais pour les “canaris” Turcs).

Je pense que la Turquie sera mon pays préféré en terme de nourriture … La diversité des mets proposés est incroyable ! Je n’aurai même pas assez de place pour énumérer toutes les variétés de kebab ou de doner (loin, très loin de ce que l’on connait en France …). Je vous conseil juste de goûter au Borek et au Kunefasi ! C’est extraordinaire 🙂

Pour terminer ce petit billet, le plus surprenant aura surement été de découvrir la modernité de la ville et de ses habitants qui contraste fortement avec le type de régime d’un autre temps et le retour à des valeurs passées …

Tous les prénoms ont été modifiés, on ne sait jamais !