Témoignage – Vivre avec le TDAH

TDAH. Voilà quatre lettres qui tamponnent ma carte d’entrée au royaume des profils neuro-atypiques. Mais qu’est-ce que c’est ? J’aimerais vous répondre qu’il s’agit, pour paraphraser la petite Greta Thunberg, d’un super-pouvoir. Malheureusement la neuropsychiatrie, beaucoup moins amusante, a décidé de le désigner comme un trouble, communément appelé « Trouble Déficitaire de l’Attention avec/sans Hyperactivité.

Le mot « trouble » est déjà, en lui-même, péjoratif. Combiné à l’adjectif « déficitaire » et il devient quelque peu déprimant.  C’est pourquoi je vais m’efforcer de rendre ses lettres de noblesse, à cette atypicité neurologique qui détermine ma vie depuis 25ans.


Si je chérie ma différence, il serait néanmoins malhonnête de reconnaitre le TDAH comme une bénédiction. Car avant d’évoquer les subtilités laudatives de ce dernier, je me dois d’informer de ses caractéristiques contraignantes.

La première serait la procrastination, ou l’incapacité à initier ou terminer un projet. J’ai toujours, depuis l’enfance, été d’une grande inconstance dans l’intérêt que je portais aux choses. Si une tâche peut me passionner et m’occuper l’esprit pendant plusieurs heures, elle finit toujours par tomber dans l’oubli et l’indifférence. L’excitation et la motivation liée à la nouveauté de l’action, disparaissent ainsi très brutalement, laissant place à un ennui et désintérêt inconfortable. Si je me lance dans un projet que je considère au début comme la production la plus extraordinaire de toute ma vie, lorsque je l’entame et que les jalons sont posés, la motivation retombe et j’auto-sabote le projet.

Parfois il m’arrive de ne rien vouloir faire, comme si tout autour de moi était indigne d’intérêt, plus encore s’il s’agit d’obligations administratives, professionnelles ou ménagères. Dans ces moments je repousse l’action jusqu’au paroxysme de la procrastination et m’isole sur un écran. Le problème étant  qu’un ordinateur ou un smartphone inhibent notre conscience du temps et nous font vivre une vie par procuration, accompagnée en fin de journée du sentiment épouvantable de n’avoir rien fait, rien produit. Cette oisiveté, aussi séduisante soit-elle, est chez moi génératrice d’idées négatives voir d’états dépressifs chroniques.


La deuxième difficulté concernerait la mémoire immédiate, ou « mémoire de travail ». Il s’agit du cycle rapide et instantané de la mémoire au court d’une pensée ou d’une action. Lorsqu’une personne vous parle, par exemple, vous retenez successivement les informations de ce discours pour en comprendre, par la suite, le sens global et l’intention. Une « mémoire de travail » défaillante, handicape considérablement ce processus. Donnez-moi plusieurs directives dans un même lapse de temps, et vous pouvez être certain que je n’en retiendrais qu’au mieux 60%. C’est d’ailleurs très agaçant pour mon entourage, qui s’imagine, à tort bien sûr, que je ne l’écoute pas et ne lui accorde pas d’intérêt. Ces oublis peuvent également s’exprimer à chaque moment de la journée, en oubliant ce que j’étais venue faire dans la salle de bain ou en cherchant désespérément après le papier administratif que j’aurais dû remplir il y a 6mois….Pour une personne « normale », ces oublis ou étourderies existent et parfois même de manière récurrente. Un peu de fatigue combinée à un esprit préoccupé par les tracas du quotidien, et nous voilà sur le terrain propice à l’inattention. Sauf que cette inattention est ponctuelle, immédiatement balayée par un peu de vacances ou une bonne tasse de café. La mienne est fatalement, et irrémédiablement permanente.


La troisième pourrait-être celle de l’hyperactivité mentale, et par extension, de la distractibilité. Si le TDAH n’est pas toujours accompagné d’une hyperactivité motrice, il va souvent de paires avec une activité cérébrale aussi intense qu’indomptable. N’étant jamais mon propre pilote dans ma boite crânienne, je suis comme en proie à un tourbillon d’idées, de pensées, d’impressions, de sensations, de souvenirs ou encore de projections en tous genres. Je me suis souvent surprise à parler à mon propre cerveau en lui disant « Stop ! » ou encore « je t’en supplie, éteins toi… » Mais rien n’y fait. Si parfois je parviens à canaliser cette capricieuse matière grise quelques minutes, la tempête mentale reprend de plus belle, m’empêchant de mener à bien mes actions ou discours dans l’instant présent.  Un chant d’oiseau suffit à m’arracher l’attention du paragraphe que je suis en train de lire, une maille effilée sur votre polo peut m’empêcher d’entendre un seul son de votre discours, sans parler de l’univers infini de mon monde intérieur, véritable trou noir dans lequel mon être peut s’absorber durant des heures, sans  que je puisse maitriser quoi que ce soit.


Enfin, la quatrième et dernière grande contrainte de ce trouble, est pour moi la dysrégulation émotionnelle. Il s’agit, là encore, d’un fonctionnement cérébral très particulier. Bien plus qu’une simple « hypersensibilité », la dysrégulation émotionnelle affecte drastiquement mon rapport au monde, aux autres et à moi-même. La joie devient l’euphorie, la tristesse un spleen des plus destructeur, la curiosité une obsession, l’amour une passion dévorante, etc.  L’émotion quelle qu’elle soit, est bouleversante, viscérale, somatique. Aucune neutralité ou indifférence feinte n’est possible dans l’instant t. Un tout petit rien peut me transpercer jusqu’à la moelle et me faire plonger dans les sombres abysses glacés de la crise d’angoisse.


En somme de ces difficultés, je pourrais conclure que le TDAH me gâche la vie depuis de nombreuses années, me coupant des autres et de la réalité présente, faisant se succéder chez moi les échecs et les sentiments d’humiliation. Il est d’ailleurs, en ce sens, le berceau de mon dégout de moi-même et de l’impossibilité de générer, ne serait-ce qu’un atome, de confiance en moi.

Pourtant, j’aime à penser que je suis différente. J’aime également à espérer que cette différence puisse charmer, ou tout au plus, fasciner quelques-uns. Car par-delà ses critères négatifs, le TDAH est aussi une force incroyable d’intuition, de création, de production, de mémorisation et d’intellection dans les phases d’hyper-focalisation (moment de concentration maximale). C’est d’ailleurs grâce à cette hyper-concentration que j’ai pu mener à bien nombreux de mes projets, principalement mon mémoire de philosophie (« Pour une reconsidération de l’altérité animale ») et mon livre photographique (« Entre deux mondes »).

Je pense notamment à ma faculté si convoitée, de rester assise en dessinant pendant des heures, sans ressentir le moindre ennui ou impatience. Je pourrais presque m’avancer sur cette curieuse idée que, sans ce trouble, je serai ontologiquement creuse, poreuse et profondément inintéressante.

Car il est également un moteur inépuisable dans la recherche de nouvelles idées, de nouveaux projets, de nouveaux objectifs ou rêves totalement fantasmagoriques. Il est ce précieux trésor d’enfance sauvegardée, qui permet encore l’étonnement mêlé d’extase et de curiosité devant n’importe quel détail de l’existence. Il est la résistance exaspérante à toute discipline, l’opposition aux moindres superfluités inutiles. Il est cette bourrasque fracassante de l’émotion et l’évanescence insaisissable de l’attention.  En bref, le TDAH serait l’apparat maudit d’un cerveau trop libre, qu’on a tort de vouloir museler et dresser, à l’image des préoccupations artificieuses d’une société définitivement malade de normalité.

Perrine M