Quelle place et légitimité pour le féminisme d’aujourd’hui ?

« La querelle du féminisme a fait couler assez d’encre, à présent elle est à peu près close : n’en parlons plus. » écrivait Simone de Beauvoir au début de l’introduction de son ouvrage « Le deuxième Sexe » (1949). Une phrase pour le moins provocatrice à la vue des mille-deux-cents pages écrites sur le sujet par l’auteure. Mais là où réside la subtilité de cette phrase d’accroche, c’est qu’elle qualifie le féminisme comme d’une « querelle », or « quand on se querelle, on ne raisonne plus bien » ajoutait la philosophe. C’est là toute la fragilité du féminisme, d’avoir cru un jour devenir plus fort en jouant le jeu d’une bataille frontale entre deux camps opposés.

Néanmoins, et ce malgré un bon nombre de maladresses et autres fragilités rhétoriques, ce mouvement intellectuel aux nobles ambitions d’Égalité a réussi à s’imposer dans les sphères politiques, économiques et sociales à partir du XIXème siècle. La femme considérée jusqu’alors comme un simple ventre procréateur, et ménagère à ses heures perdues, devient « citoyenne », et plus encore, une compagne de civilisation, une congénère en humanité. Membre à part entière de la cité, de nouveaux corps de métier et conditions de travail plus justes s’offrent progressivement à elle. Elle gagne le droit de vote en France le 21 avril 1944, et plus tard, se fera une place dans les différentes strates culturelles, sportives et politiques. La femme s’est libérée de sa représentation moyenâgeuse de « femme-femelle » et de « femme-mère » pour s’accomplir dès lors comme « femme-individu».

Et pourtant, alors même que l’égalité nominale et effective entre les hommes et les femmes est majoritairement acquise en France et en Occident, nous sommes face à une explosion du mouvement féministe depuis les années 2000. Le militantisme féministe contamine tous les canaux d’information (presse, télévision, radio, réseaux sociaux) et d’expression artistique (musique, cinéma, peinture, etc). Sa place dans les débats actuels est donc prépondérante, revêtant des discours de plus en plus hybrides, où s’entremêlent tous les combats « progressistes » du XXIème siècle.

Comment expliquer un tel rebond de la part d’un mouvement qui a déjà atteint son objectif premier ? C’est sur cette espèce de contradiction dissonante entre, d’une part un féminisme omniprésent et polymorphe, et d’autre part une société libérée, aseptisée de toute inégalité sexiste présumée, que notre problème repose. La tension provient donc de cet écart logique entre l’ampleur médiatique et stratégique du mouvement en lui-même, et l’inconsistance de sa finalité. Quelle est donc la place et la légitimité du féminisme d’aujourd’hui ?

Pour répondre à cette question il faut comprendre les racines historiques et idéologiques du féminisme, et sa transformation au fil du temps et de l’évolution sociétale. Puis, parce que le féminisme s’est transformé en cheval de Troie de toutes les luttes progressistes du XXIème siècle, nous verrons dans un deuxième temps cette grave erreur du féminisme à déclarer une véritable guerre des genres et des races. Enfin, je tenterai d’éclater les deux névroses principales du mouvement, et de redéfinir la lutte non plus en faveur d’un « ego-femme » mais de la possibilité d’un « vivre ensemble ».

Les fondements historiques du féminisme

L’histoire de l’humanité comme histoire des hommes et des femmes, est dissymétrique. Au sein même de nos profondes représentations mentales de l’évolution darwinienne, nous voyons l’image de ce petit singe quadrupède se relever progressivement (de la gauche vers la droite, étant le sens de lecture occidentale)  jusqu’à devenir ce grand Homo sapiens mâle dans sa fière station debout. Considérer l’histoire de l’humanité, c’est avant tout considérer l’histoire des « mâles » qui l’ont constituée. C’est un fait. La place de la femme dans l’Histoire fait l’objet tout au plus de fouilles paléoanthropologiques précises et spécialisées, mais atteint rarement les récits du manuel scolaire. Mais, tout bien considéré, ce n’est pas là une stratégie d’omission volontaire au service d’une domination masculine. Dans les faits, il est observable que les plus grands « sauts » dans l’histoire ont été effectués par des hommes et non par des femmes. Si les inventions préhistoriques telles que la découverte du feu, la création de l’outil, les premières peintures rupestres ou encore la mise en place des premières formes d’écriture, sont difficilement classables en terme de genre, il n’est pas contestable que l’invention de l’alphabet  phénicien, les premiers jeux olympiques et toutes les pluies de batailles qui ont rythmé notre civilisation sont des phénomènes masculins. Dans toute cette grande frise chronologique de l’humanité, la femme est invisible, si ce ne sont ces rares et célèbres exceptions telles que Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Jeanne Antoinette Poisson (Marquise de Pompadour), Charlotte Corday, Marie Marvingt…

Cette discrétion des femmes dans la construction historique tiendrait au fait que leur agentivité était considérablement réduite en comparaison de celle des hommes. Là où ces derniers pouvaient s’accomplir dans la culture, devenir chevalier, forgeron, soldat, prêtre, professeur, médecin, avocat, ou même roi, empereur, président, etc ; la femme restait…femme. Elle ne pouvait s’accomplir qu’à travers le mariage, puis à travers son devoir de mère, porteuse de la semence exclusive de son mâle référent. Des siècles durant, cette coercition masculine s’est exercée sur les femmes, les asservissant toutes entières, jusqu’à les persuader qu’aucune autre option n’était envisageable, et ce, pour leur bien, évidemment.

Les religions monothéistes ont d’ailleurs bien enfoncé le clou du patriarcat dans le funeste destin féminin. Elles sont d’ailleurs encore aujourd’hui, du moins entre les mains de traditionnalistes extrémistes, une position idéologique caduque sur la question des femmes. La femme est présentée comme « essentielle », non pas en tant qu’ « essence » individuelle, mais en tant qu’associée à l’élévation de l’homme vers la transcendance divine.

En somme, Si la place de la femme est « accessoire » dans l’Histoire de l’humanité, c’est parce qu’elle était elle-même un « accessoire » de vie aux yeux de l’autre sexe. Et c’est face à cette dissymétrie fragrante entre la condition féminine et masculine qu’a surgit des profondeurs du ressentiment et du besoin de justice, un mouvement intellectuel inédit : le féminisme.

Au courant du XIXème siècle, sous l’influence d’un Napoléon très répressif sur la condition féminine, et d’une reine Victoria personnifiant l’image de la femme obligatoirement sage, respectable et mère, les esprits encore emprunts de Révolution se voyaient mal devoir tolérer de nouvelles formes d’inéquité. Ainsi, quelques hommes et femmes osèrent prendre la parole en faveur d’une reconsidération du  statut des femmes dans la société.  À partir de là, deux formes de féminisme vont émerger et s’opposer.

La première est un courant égalitaire qui revendique une amélioration de la condition féminine au nom de l’identité humaine. La seconde, le courant dualiste, constate l’opposition entre les hommes et les femmes et demande le respect des particularités féminines. Pour être plus précis, le premier vise l’égalité en supprimant les différences de genre (Hommes et femmes sont tous deux des êtres humains, peu importe leur sexe). Le deuxième vise l’égalité à partir des différences et spécificités entre les deux genres (Ce qui est spécifique à la femme, soit sa capacité à être mère ou à éduquer, par exemple, doit être valorisé, au même titre que la capacité des hommes à faire la guerre ou gouverner).

Cette double facette du féminisme est très intéressante d’un point de vue philosophique, car elle soulève un problème classique tout droit sorti des vieilles entrailles de la métaphysique, celui de l’ « Altérité ». C’est d’ailleurs grâce aux travaux de Sartre (l’Etre et le Néant), de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe) et plus tard à ceux de Levinas (Totalité et infini) que la question de l’Altérité fut pratiquement résolue. Mais avant  cela, le féminisme s’est vu passer par bien des contradictions, desservant grandement la cause et son efficacité pratique.

Il a donc fallu attendre la grande Simone de Beauvoir pour écrire la première « Bible des femmes » (ainsi fut qualifié son livre par les lectrices et féministes américaines) et mettre un terme au dualisme conceptuel qui sclérosait le féminisme. Le cœur battant du féminisme de Simone de Beauvoir n’est pas un ensemble de débats, d’actions ou de plaidoyers dans des chroniques de presse féminine, chose que les féministes de la première vague ont effectuée avec quelques succès. Son ambition, en 1948, était de soulever les raisons de cette fracture hiérarchisante entre les hommes et les femmes dans la société, et d’établir, in fine,  une reconsidération intellectuelle et philosophique de la femme, non plus comme phénomène d’Altérité absolue, mais comme l’alter-ego de l’humain-homme. L’apport considérable de Simone de Beauvoir à ses prédécesseurs, est d’avoir pointé du doigt les spécificités physiologiques et psychologiques de la femme, et donc sa différence d’avec l’homme. En cela, elle se rapprochait du courant dualiste. Cependant, à l’inverse du courant dualiste qui maintenait une forme de frontière ontologique entre l’homme et la femme, Simone de Beauvoir va démontrer que ces différences physiologiques et psychologiques constituent également, en eux même, des traits d’humanité à part entière.

La femme n’est donc plus cet « Autre » absolu et insaisissable pour l’homme, qui tantôt l’asservissait comme une esclave, tantôt la vénérait comme une déesse. Il fallait replaçait la femme sur cette même ligne horizontale que représente l’espèce humaine, tout en admettant ses différences d’avec l’homo sapiens mâle (la femelle est plus petite, son squelette est plus frêle, son tempérament est plus conciliant, plus à l’écoute, plus nuancé).

Le féminisme de la deuxième vague a dès lors permis une reconsidération générale de la femme comme membre à part entière de l’espèce humaine et comme individu en soi. C’est une véritable révolution intellectuelle, sociale et politique qui se jouait là. La femme pouvait désormais travailler, gagner un salaire, devenir médecin, vétérinaire, journaliste, professeur, et bien d’autres choses encore.

Aujourd’hui, la femme est plus qu’intégrée, du moins en Occident. Elle a accès à toutes les professions, à tous les lieux publiques, à toutes les conférences, à tout. La femme est libre. Elle est libre de se marier ou non. Libre d’être mère, ou d’être simplement soi. Elle est libre de traiter son corps comme elle désire par les droits à la contraception, à l’avortement, à la chirurgie esthétique, pratiquer toute forme de sexualité etc. La femme peut s’accomplir individuellement comme n’importe quel homme aurait la possibilité de le faire.

Mais puisque cette Révolution universaliste a eu lieu « hier », proportionnellement  à l’histoire de notre civilisation, il demeure nécessairement encore aujourd’hui des séquelles, des traces, du monde phalocentré de jadis.

Si la grande majorité des hommes est désormais complètement ouverte et bienveillante envers les femmes, certains se complaisent encore dans des considérations archaïques de la femme comme « Autre », un objet sexué et consommable à souhait. Ces reliquats du passé s’expriment aujourd’hui dans la vie conjugale où certaines femmes se voient surveillées, parfois séquestrées et violentées par leur compagnon (275 400 femmes victimes de violences conjugales par an en France depuis 2011). Le monde de l’entreprise est parfois un terrain favorable aux harcèlements et pressions sexuelles en tout genre (55% des femmes actives déclarent avoir déjà subi une forme de sexisme au travail), sans compter la vie nocturne en ville qui se fait souvent ressentir comme dangereuse pour les femmes (8% des femmes aurait déjà été victime de sifflements, de propositions sexuelles insistantes, voire d’agression physique.)

Mais rappelons que ces phénomènes, bien qu’évidemment condamnables, sont des actes isolés. Il n’existe plus d’oppression systémique et organisée sur les femmes depuis le milieu du XXème siècle en France. Le sexisme que ces dernières peuvent encore subir sont des incivilités malheureuses et répressibles, au même titre que n’importe quelle autre forme d’incivilité dans nos sociétés.  Pourtant, elles trouvent encore à se plaindre et à revendiquer toujours plus d’importance dans la société, comme sempiternellement insatisfaites du monde dans lequel elles évoluent. Cette victimisation permanente semble hélas amener le féminisme à la dérive.

Oppression, Lutte, Combat : Quand le féminisme se transforme en guerre des genres

La plus grosse erreur du féminisme du XXIème siècle serait très certainement son hybridation. Il ne s’agit plus seulement de lutter pour libérer les femmes de leur condition d’ « Autre », mais de combattre tout ce qui a été produit par la main de l’homme, et qui plus est, de l’homme blanc, cis genre et hétérosexuel. Car oui le féminisme est devenu cette espèce de pot pourri, un fourre-tout  dans lequel s’entremêlent tous les combats à la mode. C’est d’ailleurs ce que l’on appelle le « féminisme intersectionnel » qui consiste à relier toutes les « luttes » entre elles en devenant le garant d’un humanisme absolu, intouchable de toute critique. En tant qu’ultime chevalier pour la paix universelle, il dénoncerait ainsi toutes les formes d’oppression (sans même définir avec précision ce qui délimite un phénomène d’oppression) sur les femmes, les personnes racisées, les homosexuels, les non binaires, les handicapées… en somme, tous ceux qui se revendiquent comme des minorités opprimées depuis la nuit des temps par le suprémaciste homme blanc. Cette convergence des luttes, aussi appelée « idéologie Woke », dessert grandement le féminisme qui perd dès lors de vue son objectif premier et sa crédibilité. La femme par exemple, n’est pas ce qu’on pourrait appeler une « minorité » pour la simple et bonne raison qu’elle représente la moitié de l’humanité. Plus encore, la femme en France est différente de la femme Afghane ou de la femme Chinoise, ou encore de la femme Somalienne. Lutter pour l’égalité des sexes se concilie parfois mal avec l’égalité des cultures ethniques, où selon ces dernières, la condition de la femme est complètement différente. C’est d’ailleurs pourquoi je spécialise mon article presque exclusivement sur le féminisme en France.

La deuxième erreur du féminisme aura également été de jeter un écran de fumée sur les notions de sexe et de genre. Depuis les écrits de la fameuse philosophe et féministe Judith Butler, des distinctions entre le genre et le sexe voient le jour. « On ne nait pas femme, on le devient », avait écrit Simone de Beauvoir, et cette phrase a inspiré Judith Butler dans sa théorie du genre selon laquelle il n’existerait pas de relation intrinsèque entre la nature sexuelle et l’identité sexuelle (le genre). C’est la société, d’après Judith Butler qui nous apprend ce que c’est que d’être un homme et ce que c’est que d’être une femme. Par exemple, les petits garçons jouent aux voitures, s’habillent avec des pantalons, ont les cheveux courts, tandis que les petites filles jouent à la poupée, s’habillent avec des robes et laissent pousser leurs cheveux. Les genres « homme » et « femme » seraient des  ensembles de codes comportementaux construits et imposés par la société, et non des expressions naturelles de notre patrimoine génétique. Le sexe serait dès lors à la nature ce que le genre est à la culture. Et cette philosophie aura amené les féministes à déconstruire complètement les rapports traditionnels au genre en créant toutes ces nouvelles catégories : agenré (agender), androgyne, bigenré (bigender), cis/cisgenré (cisgender), FTM (Female to Male), MTF (Male to Female), non binaire (Non-binary), transgenre (transgender), transexuel…etc.

Cette multiplication des concepts complexifie les rapports entre les hommes et les femmes, plus qu’elle ne les apaise. Vous n’êtes plus seulement un homme ou une femme par la simple présence de vos testicules ou de votre utérus, vous êtes également des représentations mentales de votre propre genre, plus ou moins affirmées. Et en fonction de votre volonté à affirmer ou non votre genre, vous serez rangé dans des catégories morales de « bon » ou de « mauvais». Si vous êtes un homme qui « se sent homme » et souhaite le rester, vous êtes un « homme cis ». La corrélation entre votre sexe et votre genre font de vous une personne privilégiée (privilégiée de quoi ? ça, ce n’est pas précisé…) et oppressive pour les minorités que le féminisme défend. Si en revanche, vous êtes un homme qui ne se reconnait pas vraiment dans la représentation classique du genre masculin, sans pour autant vouloir devenir une femme, alors vous êtes un « non-binaire ». Cette incertitude vous amène dans le camp des gens biens, même si, vous demeurez un homme, et si tant est que vous soyez, en plus,  un homme blanc, alors la classification serait un peu plus délicate. En revanche, si vous êtes un transgenre, alors vous êtes nécessairement une gentille personne, et surtout une personne vulnérable de par sa minorité qu’il faut soutenir et défendre face à la sempiternelle oppression de la majorité.

Une personne qui oserait s’interroger sur cette dissociation  systématique entre le sexe et le genre et préfèrerait nommer un homme un « homme » et une femme une « femme », se voit d’emblée traité de transphobe, ce qui est a d’ailleurs été injustement le cas pour la célèbre J.K Rowling, l’auteure de la sage Harry Potter. Notons d’ailleurs que le terme « transphobe » est très fort et problématique. Car la phobie ne relève pas de la simple critique réflexive ou de l’argument, affirmait le philosophe et sociologue Mathieu Bock-Coté, mais du dérèglement psychique et mental. Or on ne va pas discuter avec des fous, on les psychiatrise! Nous sommes donc dans une tendance nette aujourd’hui à exclure des débats publics, tous ceux qui ne sont pas en accord avec l’esprit « progressiste » de l’époque. En bref, le féminisme d’aujourd’hui fragmente la population plus qu’il ne la réuni, en prenant en compte des critères tout aussi discriminants, basés sur le sexe, le genre et la couleur.

Les personnalités propres aux individus n’existent plus, seul compte désormais leur appartenance sexuelle ou culturelle, ce qui déterminera leur place dans la communauté éthique. Nous avons un bel exemple avec Adama Traore (#blacklivesmatter) où beaucoup de féministes ont affirmé avoir participé à la marche pour ce dernier. Cette marche pour Traore n’est en aucun cas un hommage pour la personne singulière qu’il était, dans sa personnalité et identité propre (ce qui aurait été délicat à la vue des nombreux actes de délinquance dont ce dernier a fait preuve), mais pour sa simple couleur de peau. Parce qu’il était noir, et donc faisait partie d’une « minorité opprimée », sa place dans la communauté éthique était indiscutable.

Les féministes ont beau répéter que leur but n’est pas la haine de l’homme mais l’égalité entre les sexes, elles entretiennent implicitement une dépréciation discriminante envers le sexe masculin. Les hommes sont désormais, de facto, des privilégiés, des machistes dominateurs et oppresseurs. Et toutes les difficultés auxquelles la femme peut faire face dans sa vie résulteraient de cette coercition masculine. Si par exemple une femme ne parvient pas à grimper les échelons au sein de la société dans laquelle elle travaille, ce ne serait surtout pas en raison d’un potentiel manque de compétence ou d’investissement personnel, mais à cause des hommes qui, tapis dans l’ombre, la guettent et complotent contre sa réussite.

Il n’y a pas suffisamment de femmes en politique ? Ce n’est certainement pas à cause d’un manque d’intérêt général des femmes pour la politique mais juste un blocage organisé par les hommes pour éviter de se retrouver en concurrence avec la gente féminine. En somme, tout serait de la faute de ces hommes (blancs) désireux de garder le monopole du pouvoir et du  monde.  Si une telle considération pouvait complétement se défendre au XVIème siècle, où comme nous l’avons vu, la place de la femme n’était guère plus avantageuse que celle du chien domestique, il est une toute autre réalité aujourd’hui. Et les hommes français de notre époque sont bien plus bienveillants envers les femmes que les femmes ne le sont désormais avec les hommes.

La preuve en est que la sémantique utilisée pour parler des hommes emprunte au champ lexical de la guerre, avec les termes d’allié et d’ennemi. « Si tu n’es pas avec moi, alors tu es contre moi » disait Anakin dans Star Wars III La revanche des sites, une assertion morale dont s’est approprié avec soin les jeunes féministes d’aujourd’hui. Ainsi, l’homme n’a pas d’autre choix que de s’informer, s’éduquer, et surtout, se repentir de ses privilèges et de sa nature d’oppresseur. Tel est le prix à payer pour qu’il puisse prétendre au noble titre d’ « Allié à la lutte ». Si au contraire il ne s’excuse pas d’être un homme, alors il est rejeté et accusé par le féminisme comme un « Ennemi à la lutte ». Par conséquent, les hommes n’aurait d’autre choix que d’être : soit fières de leur masculinité et donc reconnaitre d’être des connards sexistes, machistes, racistes et homophobes…, soit devenir les serpillères de la bien-pensance absolu, repentant et soumis à toutes les revendications capricieuses de n’importe quelle femme du monde.

Mais comment en sommes-nous arriver là ? Quelles sont ces féministes qui luttent aujourd’hui pour la fragmentation et la parcellisation de l’humanité en une galaxie de communautés d’après le genre, la race ou la sexualité ? Là où  Simone de Beauvoir œuvrait pour la paix, la liberté et l’égalité des droits, nous voilà de nouveau perdus au beau milieu d’un funeste champ de bataille où règnent l’opposition et la discrimination.

C’est du côté des Etats-Unis que les impulsions féministes naissent et se propagent dans le reste du monde. Bell Hooks par exemple, cette féministe afro-américaine est l’une des pionnières de l’hybridation du féminisme à la lutte contre le racisme. Cette dernière aura dès les années 80 rallié la lutte contre le racisme à celle du féminisme (que Rokhaya Diallo, Alice Pfeiffer et Rebecca Amsellem reprendront en France avec dévotion) en leur démontrant une inter-connectivité complètement réfutable. Car lutter contre tout, n’est ce finalement pas lutter pour rien ? C’est ce que nous tâcherons de voir par la suite.

Cette hybridation, comme nous l’avons vu, a fait perdre au féminisme son essence, soit le rétablissement d’une égalité de considération et de droit entre l’homme et la femme. Désormais nous sommes au cœur d’une révolution cacophonique où toutes les voix s’emmêlent et se démêlent pour saccager l’héritage des Lumières, et ce, dans la plus grande réjouissance des GAFA. À votre avis, pourquoi des Wejdene ou des Aya Nakamura font autant de « vus » sur leurs clips ? Ce n’est pas grâce à leur « talent » si tant est qu’il en existe un, mais bien grâce à ce qu’elles représentent : un communautarisme de femmes de couleur impudentes, s’asseyant telles des impératrices sur la culture blanche européenne.

Néanmoins, certaines féministes américaines demeurent des modèles intéressants et intelligents de féminisme contemporain, je pense notamment à  l’actrice et féministe américaine Emma Watson, cette jeune femme qui est descendu de sa tour d’ivoire pour visiter des pays (Zambie, Bengladesh, Uruguay) où la condition des femmes était encore précaire. Elle a ainsi milité pour apporter et favoriser l’éducation des jeunes filles dans ces milieux, et de les insérer dans la vie politique de leur pays. Malala Yousazfai, une autre féministe que j’admire beaucoup, reconnait s’être beaucoup inspiré de la personnalité d’Emma Watson dans son combat contre les talibans et pour le droit à la scolarisation des jeunes filles au Pakistan. Cette croisade courageuse, lui aura néanmoins couté une tentative d’assassinat, qui l’a conduite à s’expatrier au Royaume Unis.

En France, le féminisme est difficilement aussi noble.  Dans un pays où le plus gros du travail a été mâché par les penseuses du XXème siècle, il est curieux de voir toutes ces femmes profondément militantes, s’investir dans une espèce de transfiguration de la société.  Les grandes figures actuelles comme Pauline Harmange auteure du livre Moi, les hommes je les déteste, Alice Coffin, Le génie lesbien, et leurs suiveuses représentent la veine de la misandrie systématique : « les hommes sont tous des phallos » déclarait Pauline Harmange dans un article de Libération et Alice Coffin affirmait qu’elle essayait de ne plus lire un seul ouvrage écrit par un homme. Et tous les articles et profils Instagram pseudo-féministes  convergent dans cette même veine malade de misandrie. La plupart des personnes qui repartagent les contenus de ces profils sont des adolescentes, qui, par le biais du militantisme féministe actuel, s’identifient à un combat bien-pensant pour revendiquer leur propre humanisme, et se sentir investies d’une mission transcendantale pour l’égalité. Ce sont ces adolescentes et  la puérilité générale des « jeunes filles » telle qu’elles sont conceptualisées dans le livre de Tiqqun (Premiers matériaux pour une théorie de la jeune-fille), qui renforcent et propagent cette tuméfaction maligne du féminisme d’aujourd’hui.

Comment prôner l’égalité lorsque notre mouvement fait preuve d’autant de discriminations qu’un Mein Kampf ? D’ailleurs, ce dernier s’est vu faire l’objet d’un canular (Le canular Sokal au carré) où trois chercheurs auraient recopié un chapitre entier du livre d’Hitler, en remplaçant à chaque fois le mot « juif » par « homme blanc ». Et bien ce qui est absolument effrayant c’est que l’article fut validé par les autorités scientifiques pour être ensuite publié comme revue universitaire. Bien sûr les trois auteurs ont fini par avouer la supercherie, l’objectif ayant été de prouver la dégradation de la rigueur scientifique ainsi que sa possible corruption. Nous constatons ici les dérives de notre société, muselée à la bien-pensance de l’idéologie Woke et où toute réflexion critique vis-à-vis de cette dernière est hélas moralement et réthoriquement impossible.

Guérir le féminisme de ses névroses

Si vous discutez avec un(e) féministe, le sacro-saint concept qui reviendra aussi souvent qu’une conjonction de coordination est le mot « patriarcat ». Il est la cible privilégiée du féminisme, qui le considère dès lors comme le fondement de l’assujettissement des femmes au profit des hommes. Ce qui n’est pas faux cela dit.  Mais à y regarder de plus près, ce mot est historiquement problématique.

Signifiant littéralement « le commandement du père », il désigne une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes. Serait-ce donc les hommes qui détenaient le pouvoir depuis la nuit des temps et qui auraient soumis la femme au rang de l’Autre, cette entité extra-humaine, que l’on peut soumettre et exploiter à souhait ? Ce n’est pas aussi évident.  Nous savons que dans les sociétés préhistoriques, l’organisation des premières tribus n’étaient pas patriarcales mais matriarcales. Et d’ailleurs, les femmes détenaient une importance économiques égale voir supérieure à celle des hommes, puisqu’elles rapportaient plus de nourriture que ces derniers et parcourraient beaucoup plus de kilomètres dans la quête de végétaux comestibles. Bien sûr, cette organisation sociale s’est transformée avec la découverte et le travail du métal à l’Âge du bronze. Pascal Picq (auteur du livre Et l’évolution créa la Femme) et ses collègues chercheurs en paléoanthropologie, pensent que le travail du métal était trop physique et dangereux pour les femmes qui s’occupaient déjà de porter en elles et sur elles les enfants. Cette désolidarisation entre les hommes et les femmes à l’âge de bronze serait très probablement le point de départ du renversement du matriarcat. Sans revenir sur la place qu’occupa la femme des siècles durant, nous pouvons cependant remettre en question la considération de nos sociétés occidentales contemporaines comme patriarcales.

Cette espèce de continuité nécessaire du patriarcat dans nos sociétés occidentales contemporaine n’a plus de sens, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a plus de domination masculine officielle. Les femmes  peuvent faire de la politique et gouverner même si leur élévation à la présidence ne s’est encore jamais produite dans notre pays. (21 femmes dans le monde sont actuellement Présidentes ou Première ministre)

De plus, en ce qui concerne les enfants, ces derniers sont généralement placés sous la garde de la mère et non du père en cas de divorce. Et il est également possible pour les enfants de porter le nom de famille de la mère plutôt que celui du père. Autrement dit, les femmes détiennent un rôle plus important que celui des hommes dans la filiation civile avec les enfants et occupent une place égale dans l’organisation générale de la société.

Pourtant, d’après les féministes, le patriarcat demeure, et pour preuve, toutes ces agressions sexuelles exercées sur les femmes et les multiples injustices sociétales dont elles pâtissent telle l’inégalité salariale.

Le problème avec les agressions sexuelles c’est qu’on ne sait plus vraiment ce qui peut être considéré comme une agression et ce qui n’en est pas une. Si moi je la comprends comme une « atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-22 Code pénal), désormais une main d’homme posée sur l’épaule d’une femme pourrait être considérée comme une forme d’agression sexuelle. L’argument mis en avant est le suivant « si vous posez une main sur une femme, vous lui faites comprendre que son corps ne lui appartient plus ». La situation est pire encore si la main se pose sur une cuisse, un visage, une hanche…Il est évident que toucher de manière insistante une femme contre son gré est inexcusable et totalement abjecte et condamnable. Je pense notamment à tous ces sacs à merde (pardonnez-moi l’expression) qui se permettent de mettre une main aux fesses des femmes dans le métro ou ailleurs. Sauf que, si je condamne ces phénomènes méprisables, beaucoup de féministes actuelles vont plus loin en stigmatisant toutes les formes d’interaction entre un homme et une femme.

Dans la communication humaine, la moitié passe par le langage articulé, l’autre passe par le corps, ou ce qu’on pourrait appeler l’infra-verbal. Or dans cet infra-verbal, il arrive qu’on se rapproche tactilement de son interlocuteur, surtout si nous sommes une personne naturellement expansive. Beaucoup de jeunes filles sont d’ailleurs très tactiles entre elles, bras dessus-bras dessous, s’embrassant la joue, s’enlaçant, se touchant l’épaule, les cheveux…bref les barrières mentales de la tactilité s’envolent rapidement entre les bonnes copines d’aujourd’hui. Pourtant, s’il s’agit d’un garçon, bizarrement ça pose problème. Enfin…ça pose problème exclusivement si le garçon ne plait pas à la jeune fille concernée. Et c’est précisément là le cœur  de l’incohérence. C’est-à-dire qu’une femme se sentira outrée de subir les avances d’un homme qui ne lui plait pas et le définira au mieux comme un « relou » au pire comme un prédateur sexuel. En revanche elle sera exquisément envoutée par ce rapprochement physique si l’opportun correspond à ses gouts. Tout est encore une fois une question d’alchimie et de consentement. Les hommes tentent leur chance dans la séduction et nous avons la possibilité de les encourager ou de les envoyer gentiment paitre ailleurs. On dit toujours que c’est aux hommes de faire « le premier pas », on leur a donc confié cette responsabilité empoisonnée d’initier l’ambiguïté dans l’interaction. Et nous nous plaignons quand désormais ces derniers jouent maladroitement leur rôle.

Je ne dis pas que des hommes lubriques et embarrassants, semblant ne pas comprendre le sens du mot « non » n’existent pas. Malheureusement, ils existent. Mais stigmatiser le comportement masculin uniquement au prisme de quelques crétins est pour moi une grave erreur.

Le deuxième point concernait les inégalités salariales. Tous les journaux et toutes les revues s’accordent pour dire qu’il existerait des différences de salaire entre un homme et une femme pour un même poste. Ce n’est encore une fois pas aussi évident qu’il n’y parait. Les calculs mathématiques sont bien plus complexes et les chiffres que l’on nous met sous le nez ne représentent pas la réalité. Pour plus de précision sur le sujet, vous pouvez regarder cette vidéo très ludique qui, malgré un humour un peu redondant,  décortique plutôt bien le sujet. Ou alors, si vous êtes courageux et minutieux, vous pouvez directement aller sur le site de l’INSEE et comparer vous-mêmes tous les chiffres et calculer vos propres statistiques.

L’inégalité salariale ne serait dès lors qu’une chimère méticuleusement instrumentalisée au profit de la victimisation féministe. Si bien qu’il serait plus pertinent de nous pencher sur les inégalités dans le traitement judiciaire entre les femmes et les hommes délinquants. Toujours d’après l’INSEE, en 2014, face à des faits équivalents (en termes de gravité et de profil récidiviste), la réponse pénale de l’institution judiciaire donne globalement la priorité aux mesures alternatives par rapport aux poursuites pour six femmes sur dix, tandis que quatre hommes sur dix en font l’objet. A l’inverse, 35% des femmes auteures présumées sont poursuivies devant juridiction de jugement contre plus de 53% des hommes. De même, lorsqu’elles sont condamnées, les femmes bénéficient de sanctions moins lourdes tant en type de peine qu’en durée d’emprisonnement. On constate alors une clémence envers les femmes en dépit des hommes. Cette clémence traduirait une inégalité sexiste, dont les privilégiées sont les femmes. Et ça, on n’en parle étrangement assez peu.

On comprend donc que cette névrose du féminisme d’aujourd’hui pour le patriarcat n’a pas de sens. Et si tant est qu’il existe encore des formes de coercition masculine sur les femmes, ce n’est pas là le fruit d’un « système » qui prône et favorise ce type de comportement, comme stratégie globale de domination sur la gente féminine.

Si le féminisme n’était pas intersectionnel, j’aurai pu épargner vos yeux et votre cerveau de cette énième sous-partie. Mais puisque l’archétype de l’homme blanc semble cristalliser tout ce contre quoi se bat le féminisme d’aujourd’hui, alors je me devais de démêler cette névrose.

L’histoire de l’homme « blanc », ou plutôt de l’homme occidental, n’est guère reluisante vis-à-vis de ses voisins d’Afrique de l’Ouest et Centrale, autrefois perçus comme des autochtones asservissables à souhait. Pendant 110ans, la traite négrière transatlantique a déporté pas moins de 11 millions d’esclaves vers des conditions de vie de sous-hommes. L’histoire du colonialisme est effectivement sanglante et symboliquement effrayante (expériences scientifiques abominables, commercialisation du corps, exposition de familles noires dans des zoos…).

Cependant l’ « homme blanc » n’était pas le seul coupable, et cette réalité de l’Histoire n’est malheureusement pas assez diffusée. La traite négrière transatlantique a été la plus courte et la plus minime en nombre de déportés. La traite orientale a duré 13 siècles, soit 1300 ans, et a compté 17 millions de déportations (sans compter les prélèvements par l’Asie Centrale et l’Empire Byzantin), et la traite intra-Africaine (qui a débuté au XIeme siècle et dont la fin ne s’est jamais officiellement proclamée), a fait plus de 14 millions d’esclaves déportés. Bien sûr, les chiffres ne sont pas là pour minimiser l’importance de certaines victimes sur d’autres. Mais ils nous permettent de remettre en perspective la culpabilité unilatérale et absolue de l’occident  dans ce phénomène historique.

De plus, un anthropologue sénégalais, Tidiane N’Diaye, montre que les traites négrières, qu’elles étaient transatlantiques ou orientales n’auraient jamais pu être possibles sans la collaboration active des Africains. C’est une réalité sur laquelle historiens, journalistes et militants ont souvent jeté un voile, par lâcheté intellectuelle ou opportunisme idéologique. Néanmoins, les archives existent, les faits sont empiriques et indiscutables : des Etats négriers d’Afrique ont participé et se sont enrichis grâce à ce commerce, comme les royaumes d’Ashanti ou d’Abomey. « Tous, loin de vouloir supprimer une traite dont  ils profitaient, ne songeaient qu’à imposer des taxes de passage lorsqu’ils ne « rackettaient » pas directement les caravanes. » déclarait Tidiane N’Diaye dans une interview avec Philippe Triay.

L’Histoire nous montre ainsi que l’homme blanc n’a pas l’apanage exclusif du colonialisme, de l’esclavagisme, et de la violence générale sur des peuples étrangers. De plus, si les occidentaux sont les derniers à avoir entamé leurs premières traites, ils sont les premiers à avoir aboli l’esclavage dans le monde.

Quant à la femme, puisqu’il faut revenir à elle dans un article sur le féminisme, son affranchissement philosophique, social et économique s’est effectué en Occident. C’est donc au milieu d’hommes blancs que les femmes de ce monde ont osé et réussi à révolutionner leur condition pour la toute première fois. La condition des femmes est loin d’être aussi reluisante dans la plupart des pays africains où elles sont d’office placées sous la tutelle de leur mari. Quelques avancées pointent le bout de leur nez depuis la fin du XXeme siècle, et au Cameroun, par exemple, sous l’influence de l’ONU, les femmes obtiennent le droit d’exercer un travail sans autorisation préalable du mari en 1981. Mais ce dernier a le droit de s’y opposer, par exemple si son salaire n’est pas supérieur aux dépenses occasionnées par son absence du foyer ou si l’emploi qu’elle désire occuper menace, selon lui, sa santé. À noter qu’en matière de patriarcat on peut difficilement faire mieux…

En somme, ce n’est pas l’homme noir qui a permis l’émancipation des femmes dans ses sociétés, et encore moins l’homme musulman. Et je pointe d’ailleurs ici les incohérences de l’intersectionnalité du féminisme, qui mélange la lutte pour les femmes et celle pour la diversité des cultures ethniques dans un même combat, alors même que ces deux luttes peuvent être totalement antinomiques.

Cette éternelle vision de l’homme blanc colonialiste, oppresseur et raciste, imprimé dans l’inconscient collectif ne serait dès lors qu’une une diversion mentale face aux réalités de l’Histoire et à l’esprit de l’Époque. Mais qu’en est-il du privilège blanc ? En France, la notion de « privilège » détient une connotation négative depuis l’abolition des privilèges féodaux en 1789. Cet enrobage négatif du mot contribue d’ailleurs à accentuer la défiance envers le présumé détenteur du privilège, à savoir le mâle blanc. Mais en quoi constitue ce privilège ? Selon Rokhaya Diallo, le privilège du mâle blanc serait la possibilité de postuler pour un appartement ou un travail sans avoir cette boule au ventre d’être refusé pour sa couleur de peau. Ce serait pouvoir se promener dans la rue tard le soir sans avoir peur de se faire agresser ou violer. Ce serait pouvoir travailler dans une entreprise sans subir l’humour sexiste et/ou raciste et graveleux d’un collègue ou de son patron. C’est donc pouvoir vivre dans cette espèce de confort invisible mais bien présent, de ne pas être rabaissé à sa couleur ou à son genre. Un discours que j’admets intéressant, puisqu’en tant que femme, même blanche, j’admets ne pas vivre l’espace public de la même façon qu’un homme. J’évite de sortir seule en ville,  à partir d’une certaine heure de la soirée, ou de prendre les transports en commun la nuit. Mais pour autant je ne me sens pas opprimée, et je ne considère pas les hommes blancs comme des privilégiés. Beaucoup d’hommes se font agresser, tabasser et raquetter dans la rue, souvent sans raison. Cette violence intra-masculine est si effrayante d’ailleurs ! Et même s’il existait une réalité statistique, prouvant que les mâles blancs subissent moins d’agressions et acquièrent plus facilement un travail et un appartement, en quoi cela est un privilège ? Le privilège est une « faveur » que quelqu’un donne à une autre personne en dépit de la loi commune.

Avoir moins de chance de se faire agresser n’est pas une « faveur ». Avoir plus de chance de se faire embaucher pourrait-être une faveur si le dossier en question est moins bon qu’un autre candidat et se retrouve quand même sélectionné pour d’autres critères pernicieux. Or nous savons que les entreprises d’aujourd’hui, où la réputation et le paraitre sont aussi importants que la qualité productive, n’ont pas intérêt à n’embaucher que des hommes blancs, surtout dans une société où la « diversité » devient un outil n°1 de marketing. Il n’y a donc pas de « faveur » offerte aux hommes blancs, et encore moins juste parce qu’ils sont hommes, et juste parce qu’ils sont blancs.

Bref, on comprend donc que le privilège du « mâle blanc » est un mythe et que sa nature d’oppresseur est une projection névrosée d’un féminisme malade d’intersectionnalité.

Mais d’où vient cette tendance pour la convergence des luttes ? Quelle en serait l’origine psycho-sociologique?  Et comment s’en défaire ?

Notre première partie sur les fondements historiques et idéologiques du féminisme avait pour objectif de poser l’essence du mouvement : l’égalité de droits entre les sexes. Cette égalité de droit a été acquise en Europe et aux États-Unis, et au delà même d’une simple reconnaissance juridique de la femme, cette dernière s’est vue reconsidérée dans son individualité propre. Ce qu’il resterait encore à combattre sous le joug du féminisme dans nos sociétés actuelles, serait la violence conjugale,  l’insécurité qui pèse sur les femmes en ville le soir et la nuit, le harcèlement psychologique et/ou sexuel exercé sur certaines femmes dans leur milieu professionnel. Il faudrait également faciliter le droit à la stérilisation définitive (même sur les femmes jeunes) pour celles désireuses de ne pas/plus être mères. On pourrait également mener des campagnes de sensibilisation et d’éducation à la psychologie de la violence, pour aider les femmes à détecter un conjoint violent, et à s’extraire de cette relation en toute sécurité.

Il faudrait aussi apprendre aux jeunes filles à s’émanciper de leur instinct de conformisme pour être plus performante dans le milieu professionnel (les diplômes ne suffisant plus pour grimper les échelons, il faut surtout être créative, innovante, sûre de soi, audacieuse, tenace…etc). Il faudrait également une reconsidération de la femme dans les milieux scientifiques et médicaux qui utilisent paresseusement l’archétype masculin comme unité de référence, sans prendre en considération les spécificités physiologiques et psychologique des deux sexes. En somme, il y a beaucoup de choses intelligentes encore à mener pour les féminismes. Voilà des exemples d’actions concrètes, susceptibles d’améliorer les conditions de vie de la femme, tout en n’empiétant pas sur les libertés et l’intégrité de nos voisins masculins. Au lieu de ça, les féministes Woke  s’activent à organiser des réunions non-mixtes, à dénoncer sans fondement légitime des phénomènes de manspreading, de mansplainning, à victimiser les femmes, à percevoir les sociétés occidentales comme construites sur les seuls rapports de domination entre les hommes blancs hétéro cis genres et tous les autres individus humains confondus. Cette mouvance ne tendrait plus vers l’égalité de droits et de devoirs, mais vers la surreprésentation des minorités au sein de l’espace public (plateaux TV, musique, cinéma, politique, etc).

Chaque petit échantillon ne se reconnaissant pas dans la majorité du peuple dans lequel il est prélevé, se sent opprimé par cette majorité avec laquelle il ne parvient pas se confondre.  Selon moi, cette oppression ne serait qu’un ressenti psychologique de la minorité, qui, tiraillée entre sa différence « marginale » et son besoin social d’intégration, éprouve un malaise, un manque de reconnaissance. Il n’est pas là question d’une reconnaissance comme « remerciement » après avoir agi dans l’intérêt d’une tierce personne, mais plutôt d’une reconnaissance comme « considération » pour ce que l’on est dans sa différence.

C’est selon Axel Honneth que le concept de reconnaissance est  inséparable d’une lutte pour la construction de son rapport à soi-même au prisme d’un égard extérieur et approbateur.  Sous l’impulsion d’un sentiment de déni de reconnaissance, des luttes pour la reconnaissance naissent et se déclinent à travers des attentes normatives, visant à rétablir l’identité morale blessée. Le mouvement Black Lives Matter en est un bel exemple.

La société n’étant finalement rien d’autre qu’une collection d’individus différents (que ce soit par leur couleur, leur culture familiale, leur classe sociale, leur genre, leur fonctionnement neuro-cognitif, leur sexe…) le sentiment de ne pas pouvoir s’agréger à l’ensemble du groupe tout en faisant valoir sa singularité comme critère de valeur morale, nourrit la névrose d’une fracture manichéenne entre majorité et minorité. La fonction de l’Etat, dans ce contexte, consisterait dès lors à neutraliser les antagonismes entre les différences. Au lieu de cela, il les creuse toujours plus un peu plus profondément, en alimentant le ressentiment des uns pour les autres.

C’est Hegel qui mettait déjà en lumière la dimension morale inhérente à tout affrontement et reconstruit l’évolution sociale selon une succession de luttes réelles ou symboliques, dans lesquelles l’individu ne cherche pas tant à supprimer ou à abaisser son adversaire qu’à être reconnu par lui dans son individualité. Sauf que cette soif de reconnaissance annihile les possibilités d’unité. Or l’unité n’est pas nécessairement l’antonyme de la multiplicité et de la diversité. Au contraire. Le peuple est une unité fondamentalement constituée de multiplicité et de diversité. Mais une diversité lissée au nom de valeurs morales communes et du vivre ensemble. C’est ce qu’on appelle une communauté, et à plus grande échelle, une société, qui est simultanément Une et multiples. L’idéologie Woke renverse quant à elle le processus, en éclatant l’Unité au profit des diversités. Ce qui compte n’est plus le Tout, ou le vivre ensemble, mais le confort mental de quelques égos écorchés de ne pas se voir suffisamment représentés dans toutes les strates de la sphère publique. Nous arrivons alors à une époque qui, d’une façon globale, prône les différences comme nouvelle valeur absolue, à condition que cette différence soit superficielle. Soit différent par ton physique, par ton style vestimentaire, par ton rapport au genre, par ta sexualité, par ta couleur mais surtout pas par ta façon de penser ou de t’exprimer! Non, les esprits doivent tous converger vers une seule et même ligne directrice, une seule et même idée. Tu as le droit de paraitre différent, de revendiquer ta différence, de considérer ceux qui ne partagent pas ta différence comme des oppresseurs, mais tu n’as pas le droit d’émettre une pensée à contre-courant.

Cette fragmentation de la population comme un retour aux différences, aux singularités, aux individualités humaines, n’est qu’une vulgaire page de pub aux promesses non tenables pour détourner notre attention de problèmes bien plus profonds. Si nous tenions tant que ça aux différences culturelles, à la dignité de tous les peuples de ce monde, alors on pointerait du doigt l’emprise des marchés de la finance sur des pays encore muselés aux politiques occidentales. L’occident est une mangeoire empoisonnée pour ces pays qui se sont vus privatiser toutes leurs ressources naturelles par des grandes multinationales, ces mêmes qui se prévalent aujourd’hui de soutenir le mouvement #blacklivesmatter, d’instaurer des quotas pour la diversité de leur personnel, etc. Plutôt que de victimiser, et de médiatiser sur fond de musique triste ces peuples encore tenus en laisse par le système économique et financier occidental, redonnons leur un pouvoir d’agir et leur indépendance.  Les femmes du XXeme siècle ne courraient pas après la victimisation et la reconnaissance de leur statut d’opprimées. Elles voulaient juste retrouver leur agentivité, leur pouvoir d’agir, leur droit d’être elles-mêmes…en bref, reconquérir leur indépendance.

En somme, la place et la légitimité du féminisme d’aujourd’hui sont discordantes. Entre d’un côté une place médiatique prépondérante, et de l’autre une légitimité plus que controversée, il est difficile de démêler l’essentiel de l’absurdité. Et pourtant, comme nous l’avons démontré ci-dessus, il existe encore beaucoup de choses sensées pour lesquelles le féminisme d’aujourd’hui devrait se battre. L’enjeu étant de redéfinir ses champs théorique et pratique pour rediriger son pouvoir d’action vers un égalitarisme raisonnable et juste entre les hommes et les femmes, tout en préservant l’agentivité et la dignité de chacun.